Se toucher dans les toilettes

Performance présentée lors de l’événement On occupe le Bain Saint-Michel ! à Montréal et organisé par l’OBNL Bain Saint-Michel, les 20 et 21 septembre 2013, de 15h à 18 h. / Photo: Cinécole.


Installée dans une petite salle jouxtant les toilettes du bain, j’invite les visiteurs qui se présentent à réaliser avec moi des dessins invisibles sur nos visages. Chaque rencontre avec un participant se déroule en trois étapes.

La personne s’assoit d’abord en face de moi sur un coussin. Je lui présente ensuite des cartes sur lesquelles j’ai dessiné des portraits. Sur les visages dessinés, on peut voir des motifs qui correspondent à des éléments que j’ai observés préalablement dans l’architecture du lieu : fissures des murs, carrelages, arches et taches au plafond. Je demande au participant de choisir une carte-portrait. J’invite par la suite le visiteur à fermer les yeux puis je restitue délicatement le motif de la carte sélectionnée avec le bout de mon index sur le visage de la personne.

Je propose ensuite à mon invité de tracer spontanément un dessin sur mon visage avec son doigt. Je lui annonce avant qu’il s’exécute que je modéliserai ses gestes avec un crayon sur un premier papier. Il s’agit pour moi d’être présente au trajet que prendra le doigt du participant. Je suis donc son geste de la main tout en gardant les yeux fermés.

J’invite en second lieu la personne à modéliser à son tour avec un crayon sur un deuxième papier un dessin que je produis avec l’index sur son visage. De nouvelles traces sur un deuxième papier sont créées.

Pour terminer la rencontre, nous plaçons les deux dessins côte à côte et nous les comparons. Nous échangeons sur notre expérience. En plus d’avoir réalisé des dessins, le contact intime avec l’autre qui était tout à fait étranger jusqu’à ce jour est enrichissant.


MES NOTES SUR LES RENCONTRES…

Les tête-à-tête durent en moyenne 15 minutes. Il y a juste assez de participants, pas trop. J’ai besoin d’un temps d’arrêt entre les visites pour me recentrer, prendre des notes et savourer l’effet que me procure la rencontre qui vient de se produire.

ROY. Habite Los Angeles. La glace est brisée !

MÉLANIE. Professeure. Elle fait des dessins à l’aveugle avec les enfants pour les faire sortir de leur coquille. « Lorsqu’il n’y a pas d’attente, tout peut arriver ».

Trois femmes ensemble, deux regardent et une fait l’action, c’est ANYA. Une des femmes travaille à la galerie Circulaire. J’aime le visage de Raia avec son teint olivâtre et sa peau soyeuse. Elle est toute vêtue de rouge et nous choisissons des crayons rouges pour travailler.

NADINE écrit des mots « invisibles » avec l’index sur le dos de ses enfants et ils aiment ça !

ANNE a les mains chaudes. Elle est très gentille et généreuse ! Quelle belle énergie ! Elle me suggère d’essayer l’exercice avec des craies grasses.

VALÉRIE. Bénévole pour On occupe le Bain Saint-Michel ! Elle dit : « je suis gênée ». Elle choisie la carte-portrait intitulée « Fissures ». J’adore son doigt sur mon visage, hyper nerveux, il fait de petits sauts très sensibles et cela parait sur mon papier. Line avait peur mais a réalisé l’action quand même !

CHARLES est très ouvert et détendu. J’ai trouvé l’action très sensuelle. Il apprécie que l’on s’assoie au sol.

RAPHAELLE. Peintre. Elle travaille pour un collectif participant à l’événement. J’avais l’impression de la maquiller (elle l’était). Elle n’aime pas qu’on la touche, mais elle veux faire quand même l’action. Je me sens pressée. Ses réticences me stressent un peu.

LYDIA choisie la carte-portrait intitulée « Arches ». Au début, elle ne parlait pas beaucoup et ne souriait pas non plus. À la fin, elle était plus ouverte ! Je lui ai dit : « on ne se connaît pas beaucoup et (en fait, on se connaît pas du tout) et là, on est en train de se toucher dans le visage » !

Z est le nom qu’il m’a donné. Quel beau visage frais et asiatique ! Une belle énergie de jeunesse ! J’ai adoré admirer son visage tandis que je le touchais.

© Natasha Durand, 2018